Recueil de Nouvelles

LE TYRAN- Comment pourrais-je être en accord avec l’opinion ? Ce choix est mauvais.

En démocratie, c’est la voix du grand nombre qui gouverne :

LES DÉMOCRATES- Les décisions reviennent à tous.

LE TYRAN- Tous moins un. Je n’en suis pas.

LES DÉMOCRATES- Liberté à chacun de penser ce qu’il souhaite ; c’est l’ensemble qui veut.

LE TYRAN- L’ensemble retranché d’une partie n’est pas le tout. Faudrait-il que je m’en exclue ?

LES DÉMOCRATES- La majorité représente le tout, car sa force excède celle des minorités. Celui qui ne respecte le résultat est dissident et fauteur, et est exclue.

LE TYRAN- J’accepte alors. Il le faut bien. Comment vivre en dehors de toute société ? Mais je le répète, une partie quel que soit son ampleur n’est pas l’unanime. L’expression d’une voix ne trouve pour poids que sa qualité ; voici ce qui est sa force réelle. Ce n’est en rien son identité. La force d’une multitude ne réside pas dans le nombre d’entité dont elle est composée, mais bien du critère qui constitue chacune de ces entités. L’élément sans fond est nul, le fond s’exprime à travers les éléments. La quantité n’est rien que jeu d’addition sans valeur. Et ici, les gens se trompent. Si un seul peut s’égarer, tous le peuvent.

LES DÉMOCRATES- Il est toujours plus probable, que le peu veuille plus mal que le plus.

LE TYRAN- Or, il n’est non plus impossible, que le grand divague au lieu du petit.

LES DÉMOCRATES- Plus on s’approche du tout, et mieux on cerne le vrai, et le plaisir de voir la plus vaste partie alliée au choix.

LE TYRAN- Le vrai sait se déployer dans un seul, et bien souvent on embrouille les avis à cumuler les personnes. Le tout n’égale pas la vérité, encore moins la majorité. Le tout n’est que la somme, n’est que l’effet, pas la cause. Heureux si le bien retombe sur tous, il le faut. Cependant il n’est pas dit que ce « tous » soit incessamment, la bonne mesure pour son bien. Si tous possédaient le bon jugement, aurait-on besoin de s’assembler et de décider, ce qui est déjà tacite et connu. Il faut ressortir des voix le bien commun.

LES DÉMOCRATES- N’est-ce pas le but du vote ?

LE TYRAN- Le but n’est pas atteint, lorsque chacun ne pense au commun. Lorsque chaque entité choisit pour lui-même et non pour les autres d’avec lui. Un vote doit toujours être altruiste : le soi et les siens réunis. Cela marcherait, le vote de l’égo, dans une société où tous sont identiques. Mais il y a des différences, des préférences, et des inégalités. Il faut embrasser toutes les classes, tous les lieux, voter pour le meilleur de la nation rassemblée.

LES DÉMOCRATES- C’est pour cela que l’on délègue à des représentants, qui voient plus loin qu’un seul isolé.

LE TYRAN- De nouveau un problème. Des aveugles sont-ils bien certains d’être conduits juste, par des gens qu’ils ne voient lors de leurs désignations. Des citoyens corrompus, élisent des corrompus ; quand bien même, des sages pourraient être dupés et se retrouver avec des corrupteurs. Une représentation la moins influente, et de bons électeurs sont nécessaires.

LES DÉMOCRATES- Voulez-vous d’un gouvernement sans force ?

LE TYRAN- Si les hommes sont bons initialement, faut-il autant de poids pour l’exécutif ? À l’opposé, voulez-vous tous, des délégués puissants pouvant retourner le gouvernement contre les gouvernés ? Réduisons au maximum, la prise de décision exclusive au seul gouvernement. L’intérêt personnel éventuel, associé à chacun de ses membres s’en trouverait avec un minimum d’espace pour agir. Le choix égoïste d’un électeur est nuisible, l’action d’un gouvernant égoïste est despotique.

LES DÉMOCRATES- Les citoyens sont libres d’élire leurs représentants, il s’agit de leurs responsabilités. Choisiront-nous à la place, ainsi qu'au hasard, une personne arbitraire ?

LE TYRAN- Si la Providence est clémente, elle nous mettrait en possession d’un être juste et légitime. Il est mieux d’être gouverné par un seul bon, non-choisi, que par une réunion d’intrigants appelés. Aucune honte, aucune tyrannie à subir l’action de ce qui doit être. De cet homme s’en émanerait le collectif, et non son intérêt propre. Mais j’en conviens, qu’il est quasi impossible de le saisir.

LES DÉMOCRATES- Il faut donc l’avis de tous.

LE TYRAN- Pas un avis, mais un consentement commun. Qu’il est ridicule de voter pour des partis. Ceux-là doivent servir tout le monde. Or, en ayant une mentalité qui leur est exclusive, car ils se forment, en se séparant des autres, et en possédant bien vite leurs propres volontés, fruits de leurs égos cumulés, ils ne gouvernent bientôt que pour une partie et eux seuls. À cela rajoutez les affinités particulières qui composent le sein des électeurs, et vous avez une société sclérosée.

LES DÉMOCRATES- Qu’est-il utile à faire selon vous ?

LE TYRAN- Changer les mentalités. Que tous savent pourquoi ils sont assemblés. Ils le sont de la nature, par la sociabilité de l’homme. Chacun veut son bien, donnons-leur à tous. Une tyrannie est de nécessité, mais celle de l’Unique, égale à tous, la plus démocratique qui soit, car elle se présente dans chacun quand chacun pense à l’autre. La responsabilité n’est pas de laisser son action à autrui, de se flouer de sa dignité, mais de décider ensemble pour le groupe. Il ne faut pas se défausser ou voter par amertume, on peut très bien manifester à tout moment contre un système, au lieu de l’entretenir par de l’à-quoi-bon et de l’indifférence. N’est-ce pas cela la liberté, de s’exprimer, d’amender quand il le faut ? À quoi sert de garder des rouages usés, que de se tourner vers les plus aigres pour les détériorer plus prestement ? Une nation n’existe que pour la sauvegarde de l’ensemble de ses membres ; c’est à tous, responsables d’y contribuer. Mais ceci me parait utopique. Les citoyens sont de grands enfants, qui irrités par leurs instituteurs, ne trouvent rien d’autre, par facilité, par pusillanimité, au lieu de se récrier au-devant de leurs coupables, que de s’abotter leurs devoirs qu’on leur remet. Ainsi, ils se préfèrent cancres que réformateurs.

LES DÉMOCRATES- Voyez-vous donc qu’il faut bien s’occuper d’eux à leurs places, et que cela est meilleur et utile, quand ils laissent l’action à ceux qu’ils choisissent même par humeur, car enfin c’est leur volonté après tout. Ceci vaut mieux que d’écouter les pavoisements dans leurs idées de certains réfractaires, et de les mettre au joug de cette mentalité d’uniformisation, qui briderait l’élan personnel de chacun et la liberté de pensée. Les gens votent pour ce qu’ils ont envie, et reçoivent comme lois et éducation, ce qu’ils commettent aux élites. Rien ne sert individuellement de vouloir parrainer les autres, que pour ceux qui s’en chargent pour eux après coup…